La voiture est partout dans ces images, mais jamais au centre : elle est le miroir où se lisent les histoires de l’Homme.
01 – «A Llama in Times Square» d’inge Morath.
On pourrait croire à une scène saisie par hasard : un lama passager improbable, contemplant Broadway depuis la vitre d’une voiture. Mais la vérité est plus subtile. La photo A Llama in Times Square (1957) d’Inge Morath naît d’une commande pour LIFE. Contrairement à la légende du magazine qui parle d’un taxi, Linda le lama rentrait en réalité d’un plateau télé dans la voiture de son dresseur. Préparée dès 1956, l’image illustre l’art de Morath : transformer un trajet ordinaire en icône. Derrière l’apparente spontanéité se cachent rigueur, mise en scène et complicité avec ses sujets. La voiture, simple espace de transition, devient ici le théâtre d’une photographie culte.
03 – «Mercedes en papier mâché» de Max Pam.
En 1976 à Bangkok, près de la gare Hua Lamphong, Max Pam aperçoit un garçon portant une Mercedes en carton. Ce n’est pas un jouet, mais une offrande funéraire en papier mâché, destinée à être brûlée lors de cérémonies chinoises. Assis devant un bol de soupe, Pam bondit pour saisir l’instant. Mais le cuisinier, croyant qu’il part sans payer, le poursuit hachoir en main. Il n’a le temps que d’un seul déclenchement avant de se rendre, puis de régler l’incident à coups de dollars. La photo, légèrement tremblée et surexposée, deviendra pourtant l’une de ses images marquantes : une voiture irréelle, faite pour les morts, traversant soudain le monde des vivants.
02 – La «Trabbi» de Thomas Hoepker.
Cette image de Thomas Hoepker, réalisée à Berlin-Est en 1974, montre l’arrière d’une Trabant, voiture emblématique de la RDA. Symbole d’une société marquée par la pénurie et la standardisation, elle condense toute une époque. Sa teinte pâle et uniforme – ces verts et bleus pastel devenus signatures involontaires du régime – rappelle les gammes restreintes de l’industrie socialiste, où la contrainte finissait par produire une esthétique propre. Derrière la vitre, un coussin décoratif kitsch rompt l’austérité de l’objet, signe d’une volonté d’individualiser ce produit de masse. Hoepker, attentif aux fractures politiques de son temps, a souvent cherché à traduire l’ironie ou l’absurde au coeur du réel. Ses images de l’Allemagne divisée ne se limitent pas à un témoignage documentaire: elles révèlent, à travers des détails apparemment anodins, les paradoxes profonds d’une époque.
04 – Recommandation livre: «Mister K» de Sylvie Meunier.
Avec Mister K, Sylvie Meunier transforme des photographies vernaculaires en un roman photographique où l’automobile devient fil conducteur. Sur les routes américaines, entre highways et motels, la voiture accompagne la fuite du narrateur et devient le lieu de ses souvenirs, de ses errances et de ses pertes. Entre polar, autofiction et road-movie, Sylvie Meunier associe images et texte pour plonger le lecteur dans une Amérique cinématographique, entre film noir et Beat Generation.
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